« DMM City » est un grand feuilleton d’aventure. L’intrusion d’un héros sanguinaire dans la réalité contemporaine.
Un vieil homme débarque au milieu des enfants de la cité. Sans l’avoir prémédité, le voilà catalyseur d’une colère latente.
« DMM City » parle de la violence vécue, imaginée, voire espérée pour un monde qui nous échappe. Un monde dans lequel nous vivons et dont nous sommes pourtant de plus en plus inaptes à comprendre le fonctionnement et les règles.
Comment se positionner par rapport à ce courroux dont nous ne percevons pas les motivations. C’est une violence que nous sommes incapables de considérer en termes de rapports sociaux.
Les enfants de « DMM City » ne sont pas sans rappeler les enfants soldats, implacables et imprévisibles. Innocence perdue et dévoyée, souvent noyée de drogue ou d’alcool. A l’image des lanceurs de pierres de Abu Amar dans les territoires occupés, des enfants perdus de Charles Taylor au Liberia, des Jeunes Patriotes de Gbagbo en Côte d’Ivoire, des Chimères d’Aristide en Haïti. Sans oublier les jeunes guerriers de Pancho Villa, bien sûr.
Mais « DMM City » parle avant tout de nous et non pas d’un lointain fantasmatique. « DMM City » parle de nos enfants, de cette trace sombre et inquiétante qui brille au fond de leurs yeux lorsqu’ils s’aperçoivent qu’ils n’ont plus le choix qu’entre fanatisme et nihilisme.
« Tous ces enfants, cette génération, ce sont les meilleurs, les plus intelligents, les plus sympathiques que nous ayons eus. Mais ils échouent, ils manquent l’école, ne jouent même plus. Ils sont brillants, agiles et rapides. Mais l’école de la rue, ce n’est pas assez. Ce sont de petits adultes. Ces sont les meilleurs mais ils n’auront pas la possibilité d’être les meilleurs. Tu comprends ? » : c’est en ces termes que la commissaire Catherine Guérin décrit les enfants de « DMM City ».
Sans motivation ni revendication, leur fureur ne peut rien satisfaire. Elle n’est que le premier pas d’une fuite en avant : toujours plus de violence, toujours moins de résultats.
Et les personnages qui gravitent autour de « DMM City » sont impuissants à réagir. Sans alternative à proposer ils sont emportés, dissous, altérés par la violence.
Les enfants s’échappent de la cité par l’action, ils créent leur mythe, leur Doroteo. Ils reprennent leur avenir en main.
Si « DMM City » pointe sans état d’âme la faillite de la raison et le triomphe de passions absurdes ou irrationnelles, nous ne cédons à aucun désespoir, mais plutôt à l’espoir. Avec brutalité et déraison, certes. La fiction livre ici une vision impatiente de l’avenir. Comme au fond des yeux de nos enfants.
Cédons un instant à la tentation des citations :
« Nous avons été habitués à des révolutions qui avaient un but. Nous allons dans un monde où elles n’en auront plus. », J.G. Ballard.
« On dit que les enfants sont affreux, moi je dis qu’ils ont encore de la marge. », Kurt Cobain.
Le vieillard, Doroteo Arango, est le personnage central de cette histoire. Le récit commence lorsqu’il couronne les Pyrénées et descend vers la plaine. Le récit s’achève lorsqu’il rejoint Chihuahua au Mexique.
Doroteo répond à cette réelle soif de héros mythique, icône de nos imaginaires, de ces héros qui vont mûrir et mourir avec nous. Le souffle épique. Une histoire hors norme qui brasse aventures, mythes et rêves. Mais derrière les péripéties baroques qui entraînent les spectateurs, pointe toujours la réalité. Nous sommes au cœur d’une cité d’aujourd’hui, aux côtés d’enfants en colère. Ils changent leur destin convenu en acceptant de suivre cet improbable vieillard tout droit sorti d’un western crépusculaire.
Improbable… Ne nous arrêtons pas aux apparences : Doroteo n’a rien d’improbable. Il est l’exact reflet de ce que les enfants de « DMM City » veulent qu’il soit.
Il calque son comportement sur leurs aspirations. Il devient le portrait qu’en trace les médias. Il se fond dans l’image que le détective arrivé du Mexique peint de lui. Il calque, il devient, il se fond… Toujours il court pour être l’écho de leur désir collectif.
C’est un vieillard plein de ressources. Parfois il arrive à mener la danse, à force de surenchère.
Le mythe, c’est lui. Le mythe n’est pas soluble dans la barbarie, bien au contraire.
Et tout comme elle, il est d’autant plus indispensable qu’il est inutile.
La fiction, l’aventure et ses héros comme langage universel, reconnaissable entre mille, à la portée de tous. Bien que le texte ait été écrit pendant l’été 2005, il n’y a aucune prémonition des émeutes de novembre – l’affirmer tiendrait du folklore – il y a juste le fait de raconter la bonne histoire au bon moment, d’écrire une fiction d’aujourd’hui.
Ce regard sur la réalité à travers le filtre déformant de la fiction permet d’introduire le décalage nécessaire, à l’instar des jeux vidéo, à la création d’un espace de projection et de transgression. Dans « DMM City », l’impossible devient possible, l’interdit devient permis. Mais pour une fois, cet espace de transgression n’est pas réservé à un public d’initiés – comme c’est trop souvent le cas pour les jeux vidéo ou une partie de la musique rap. Porté par la télévision, il devient espace de dialogue et de partage.
« DMM City » emprunte, dans son récit et sa forme, les codes issus du jeu vidéo, d’Internet et de la génération zapping. Une forme d’écriture qui renouvelle le feuilleton, sur la piste ouverte par des séries comme Oz, Lost, ou même Urgences. A l’image des résultats produits par un moteur de recherche Internet : accumulation, puzzle, collage d’éléments variés. Chaque péripétie ouvre des portes, multipliant les possibilités à l’infini. Un modèle « divergent », par opposition aux habituelles histoires « convergentes ». Un contrat de l’invraisemblance entre ceux qui regardent et ceux qui racontent.
Une écriture du présent, moderne, qui joue sur la surprise et une certaine forme de chaos. Imprévisible, loin des ressorts narratifs déterministes. Des personnages ballottés par les événements, réactifs plus que moteurs, qui ne débattent pas de la réalité mais l’affrontent. Des personnes auxquels les spectateurs s’attachent pour des raisons affectives plutôt que des « protagonistes cohérents » induits par une intrigue.
Un vaste feuilleton donc, une fresque de bruit et de fureur où se déploient les incroyables rebondissements de l’histoire du général Doroteo Arango. Comme le disait un Blaise Cendrars particulièrement visionnaire à propos de son roman L’or : « Une multiplication et non pas une addition, un portrait vivant du général et non pas le déshabillage d’une momie. Une œuvre de fiction. »