Robin Koutemania (11 ans)
Robin bénéficie de l’aura de son grand frère. L’ancien champion de judo. Du haut de ses douze ans, il promène la même carrure massive que lui. Sans doute pas la même ténacité. Le réseau du grand frère, de ses amis, lui donne les coudées franches. Pas autant que s’il avait été dans la dope, évidemment, mais assez pour que Robin soit tranquille dans les cours et les coursives de la cité.
L’univers de Robin, c’est celui des bancs, des cages d’escalier, du centre commercial. Réfractaire aux chaises de l’école et à l’appartement familial surpeuplé. Mais si le grand frère n’habite plus avec eux, le F3 est bien encombré : le père, la mère, les deux autres frères et la grand-mère maternelle qui l’étouffe de son affection.
Accolé au centre commercial, se dresse un grand hangar dans lequel les cadres et les jeunes de la ville proche s’adonnent au paint-ball. En treillis, bardés de protections, ils se canardent à longueur de week-end. Inabordable aux mômes de la cité. Mais c’est un ami du frère de Robin qui tient la caisse le dimanche. Il laisse le môme se glisser à l’intérieur. Il est agile et vif, il connaît les coins et les recoins. Même s’il est loin de l’âge réglementaire, les participants se battent pour l’avoir dans leur équipe. Mais Robin préfère jouer les francs-tireurs. Il prend un malin plaisir à viser et à toucher là où il sait que les protections sont les plus faibles : derrières les genoux, dans la nuque.
Doroteo le repère immédiatement. Robin est trop heureux de trouver quelqu’un qui voit en lui des qualités là où tout son entourage ne voyait que flemme et perte de temps.
Comme tous, il s’était questionné sur ce vieillard. Il s’était moqué comme les autres de ce large chapeau, sans doute plus que les autres. Un vieux taré qui traîne dans la cité. Il ne pouvait être que cinglé, transgressant si naïvement les codes de la cité. Comme les autres, il n’avait pas vu l’eau qui bouillonnait sous la surface. Il l’avait vu tenir tranquillement tête à Fractor au pied de l’immeuble Prieur ; c’était une chose qui n’était pas arrivé depuis des années, qui n’était peut-être jamais arrivé. Robin s’était approché, il voulait voir comment Fractor allait le bousculer pour le remettre à sa place. Quand Doroteo s’est adressé à lui après avoir cassé le nez du dealer d’un coup de poing… Robin a compris.
Robin a suivi. Il a formé un groupe et ils sont allés chercher les pistolets de paint-ball. C’est avec ça qu’ils ont attaqué les vigiles du centre commercial. Robin a guidé un des groupes parmi ceux qui ont constitué la première vague d’action.
Pour sûr, Doroteo a bouleversé sa vie. D’un coup, le regard qu’il a porté sur sa grand-mère a changé. Pour la première fois, il a imaginé qu’il y avait plus derrière cette figure ridée radotante que ce qu’il avait toujours imaginé. Robin s’est souvenu de la boîte à gâteaux. Cette boîte qu’elle lui avait offerte et qu’il avait négligée avec un mépris ostensible. A l’intérieur y sont rassemblée des petites figurines en bakélite grise, un truc de vieux. Il exhume la boîte et sort les figurines devant sa grand-mère. Des petites figurines Mokarex, amassées pendant vingt ans dans les paquets de café. L’une d’elle porte un large chapeau comme Doroteo : « Pancho Villa explique la grand-mère ». Et pour la première fois Robin l’a écoutée.
La cité est en arme et Robin est en bonne place. Sa vie a basculé. Que du bon. Si ce n’est son grand frère. Son grand frère qui l’a toujours protégé et qui est horrifié de le voir une arme à la main. Mais aujourd’hui Robin n’a plus besoin de lui, ni de son aide.
Sur le trottoir, l’attend Robin. A peine plus jeune que [David], compensant sa petite taille avec quelques centimètres de cheveux très crépus.