Bien sûr, nous sommes encore loin d’entammer réellement l’écriture.
Mais déjà, nous commençons à vivre avec les personnages de DMM City autour de nous…
Doroteo (124 ans)
Doroteo est un homme sans mémoire et sans passé. C’est un vieillard perdu qui s’approprie la mémoire d’un autre. Il rentre dans la peau de Pancho Villa et s’étonne lui-même qu’elle lui aille si bien.
Il écoute les récits et les digère. Récits d’enfants et d’adolescents qui ne lui transmettent que des bribes, qui construisent une image simple de héros sanguinaire. Récits plus sophistiqués, lorsque les mexicains entrent en jeu. Et l’image s’affine. Doroteo vit – revit – partie de cette histoire passée et enterrée. La prise du train, l’utilisation des mirages, la place qu’il donne aux filles de la cité en leur confiant un rôle important et concret dans la nouvelle structure qu’il bâtit.
Mais même en amont de ces histoires, sans doute portait-il déjà une part du personnage en lui. N’a-t-il pas levé cette armée d’enfants – comme l’avait fait Pancho Villa lors de sa dernière campagne – avec ce regard si mexicain, qui voulait qu’un individu passât à l’âge adulte au jour de ses six ans ? N’a-t-il pas éprouvé un trouble profond, en caressant sa jambe abîmée et raccourcie d’une très vieille blessure, le jour où il a appris comment Pancho Villa refusant l’amputation a surmonté la gangrène au prix de quatre centimètres de mollet ? Peut-être ne s’approprie-t-il pas la mémoire d’un autre, peut-être se réapproprie-t-il sa propre mémoire.
Comment décrire ce personnages sans passé, avec le passé d’un autre. Les personnages sont avant tout ce qu’ils font. Est-il ce qu’a fait Pancho Villa ? Sans doute en partie.
Il est ce Villa qui retourne voir son vieux compagnon d’arme pour l’entraîner dans une nouvelle campagne. Pour tenter de le convaincre, il l’emmène dans la montagne. Mais le vieux compagnon rechigne : j’ai une femme, j’ai des terres, une ferme. Et Pancho pointe un nuage de fumée dans la vallée : non mon ami, tu n’as plus de ferme, tu n’as plus de femme, tu peux venir avec moi.
Mais c’est avant tout Doroteo, cet homme qui a descendu les flancs des Pyrénées ravagés par les incendies. C’est ce cavalier hors pair qui peut engager son cheval au galop dans une ruelle et négocier un virage à angle droit sans frémir. Ce cavalier qui peut saisir la queue d’un bouvillon, l’enrouler autour de sa jambe, faire chuter l’animal et lui enrouler le lasso autour des pattes avant qu’il n’ait pu se relever.
Doroteo est un héros sanguinaire. Poussé par un désir de vengeance implacable, torturé par l’amour impossible. Il peut être une vraie brute et l’instant d’après, avoir beaucoup de charme et de joie de vivre. Il est à la fois très courageux et très cruel. Chacun de ses actes porte en lui ceux de Francisco Villa.
« Le vieil homme au crâne dégarni a le visage couvert de sueur, rougi par l’effort, mais il ne s’arrête pas. Corps massif, cou de taureau et jambes musclées, léger boitement […] Ses épaules se voutent et lui confèrent la fragilité d’un vieillard. Par instants, il relève sa tête et pointe vers l’avant son menton couvert d’une barbe blanche, il paraît prêt à avaler la montagne. […]Il a l’air dépité en découvrant sa lourde carcasse. Il tâte ses muscles, ouvre sa chemise et soupèse son ventre couvert de cicatrices. Puis il fait des grimaces, prend des poses de matamore, dents serrées, sourire carnassier. Il éclate de rire devant son air hirsute et tente en vain de dominer les mèches blanches rebelles sur l’arrière de son crâne et les poils de sa barbe. […]Il se rase la barbe, ne garde que la moustache.«