Aujourd’hui, je suis retourné au collège.
Un collège de Seine-et-Marne, à La Ferté-sous-Jouarre.
Ce n’était pas pour une séance pédagogique, ni une résidence d’auteur, mais pour quelque chose d’un peu différent : enregistrer des ambiances, des sons, des petits bouts d’adolescence réelle pour Éclaté au sol.
Carole Cheysson, la réalisatrice, était là aussi — casque sur les oreilles, micro à la main, son enregistreur collé au ventre comme un instrument fragile. C’est elle qui capte. Moi, j’observe. Et c’est, vraiment, une expérience assez bouleversante.









Là où la fiction rejoint le réel
En passant la grille du collège, j’ai eu un choc étrange :
c’est exactement l’endroit que j’avais imaginé en écrivant.
Cette grande cour grise et ouverte, avec la campagne au fond, presque trop large pour la taille des élèves.
Cette galerie couverte où résonne chaque pas.
Les armoires vertes alignées comme des pièces de décor en attente.
Le silence allongé du midi, avec un pull oublié au sol, laissé là comme un petit drapeau d’enfance.
Quand Carole a posé le micro contre les barreaux de la grille entrouverte, j’ai vu la fiction se superposer aux lieux.
Je revoyais Arthur traverser ce couloir, Lou qui le suit du regard, Elena qui claque une porte, Kevin qui explose pour un rien.
Ce collège ne joue pas : il est simplement lui-même.
Et pourtant, il raconte exactement ce que nous avons écrit.
Affiches, insultes, cris du quotidien
Dans un couloir, une affiche colorée : STOP AU HARCELEMENT, en lettres massives et noires.
Autour, dans une sorte de nuage chaotique, les mots :
« sale noire », « tchintok », « grosse vache », « tafiole », « idiote », « méprisée ».
Un collage de violence brute, écrite de toutes les couleurs possibles, comme un inventaire involontaire de ce que les ados entendent chaque jour.
C’est glaçant, et d’une évidence terrible.
Je me suis surpris à imaginer Kevin lisant ça à voix haute d’un ton faussement léger, ou Lou le recopiant dans son journal en ajoutant un point d’interrogation — « harcelé ? ».
La salle de classe : chaos organisé
Dans la salle d’allemand où nous enregistrions, tout était resté tel quel :
les drapeaux accrochés de travers, les cartes, les dessins d’élèves, les feuilles punaisées n’importe comment, les boîtes débordant de feutres, les lingettes encore humides, les gobelets abandonnés.
Les adultes en repèrent le désordre.
Les ados y voient leur habitat naturel.
Carole a enregistré le bruit des chaises qu’on pousse, des sacs qu’on jette par terre, les soupirs, les « regarde ! », les rires contenus.
Un élève imitait un bruit de poulpe — totalement par hasard — et j’ai dû me retenir de lui dire : « tu viens de faire entrer Éclaté au sol dans la vraie vie ».
Moments volés
Quelques images de l’après-midi :
- un professeur, bras écartés, mimant une scène pour nous faire comprendre comment se déroule l’entrée en classe quand “ça déborde”.
- des élèves très concentrés, assis de travers, les bras derrière la tête, observant les adultes enregistrer comme si c’était un spectacle un peu ésotérique ;
- deux adolescents penchés sur un téléphone, chuchotant, exactement comme dans les épisodes ;
- Carole enregistrant un bruit de pas, à quatre pattes, micro tendu vers le sol, pendant que tout le monde l’observe en silence ;
- la porte orange du bureau de la CPE, la vraie, celle derrière laquelle on dit “viens t’asseoir, raconte-moi”, exactement comme dans Éclaté au sol.
Je suis resté plusieurs fois immobile, juste à regarder.
Ce n’est pas souvent qu’un texte écrit dans un coin de table trouve son lieu, littéralement.
Voir le texte s’incarner
C’est ça, la grande émotion de la journée :
voir la fiction se remplir d’air, de voix, d’échos, de lumière.
Arthur, Elena, Kevin, Lou, Oriane…
Ils sont nés dans un document Word.
Aujourd’hui, ils ont trouvé un endroit où leur histoire peut exister autrement, à travers des sons qui n’appartiennent qu’à eux — et aux enfants qui les inspirent.
Dans quelques jours, nous passons à l’enregistrement avec les comédiens.
Mais déjà, quelque chose a commencé.
Ce 3 juin, dans un collège de Seine-et-Marne, Éclaté au sol a pris corps.


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