Mai 2024.
Je viens de terminer Éclaté au sol.
Deux saisons, douze épisodes, et le sentiment (rare) que l’histoire existe désormais en dehors de moi. Elle est posée, structurée, elle respire. Elle attend qu’on lui donne des voix.

Je suis content. Vraiment content.
Et aussi très étonné par ce que l’écriture a changé dans le projet — ce qu’elle a déplacé, éclairé, ajouté.

Le titre n’a pas encore bougé. On verra si je le garde ou pas. Mais pour l’instant, il tient bon.

Et surtout : enregistrement prévu en juin.
Les choses deviennent sérieuses.


Ce qui a pris de l’ampleur

Les adultes (eux aussi débordés par l’histoire)

Ils occupaient une place marginale au départ.
Mais en écrivant, ils sont devenus essentiels : pas pour “expliquer”, mais pour rendre visible la confusion, les angles morts, les maladresses.

J’ai écrit cette scène que j’aime beaucoup. La CPE reçoit Arthur :

« Tu as de bonnes raisons de ressentir cela… Je suis désolé de n’avoir rien vu, je comprends que tu sois en colère… que tu aies peur… je te trouve courageux… tu n’as pas envie de blesser les autres, je comprends… »
(Épisode Adultes – Partie 1)

Tout est là : la tentative de comprendre, et les limites de cette tentative.

Et ce mot qui revient, comme un mantra, comme une sorte de programme pédagogique involontaire :

« Ramener de la parole. »

C’est presque la ligne de force des deux saisons.


Ce que l’écriture a révélé (sans que je l’aie tout à fait prévu)

La musique d’Oriane

Je savais qu’elle chanterait.
Je ne savais pas qu’elle deviendrait la pulsation émotionnelle du récit.

Son slam, dans l’épisode où elle traverse la cour, casque sur les oreilles, résume parfaitement son rapport au monde :

« ♫ Pas mon groupe, pas mon genre, sont trop bizarres, trop bizarres… ♫ »
(Épisode Oriane – Partie 1)

Elle observe, elle se protège, elle met en rythme ce qu’elle ne veut pas affronter.

Et à la fin de la Partie 1, ce passage presque suspendu :

« Une chanson originale d’Oriane, qui s’accompagne à la guitare. Les couplets brossent de manière très synthétique sa position… »

Le personnage s’est écrit tout seul.
C’est toujours bon signe.


Le glissement : l’accident, puis tout le reste

Ce qui m’a surpris dans l’écriture, c’est à quel point l’accident — ce doigt tordu, presque anodin — a pris une place de métaphore.

Le surnom “Crochette”, lancé légèrement, devient le symbole de tout ce qui se dérègle :

« C’est là que le mot sort pour la première fois : “Capitaine Crochette.” »
(Épisode Arthur – Partie 1)

Et plus loin :

« Même Pintili, un élève qu’il connaît à peine, a répété ce surnom… »
(Épisode Arthur – Partie 1)

L’écriture a rendu visible la manière dont un simple “jeu” se transforme, imperceptiblement, en dérapage.


Les suiveurs, un rôle clé

C’est le point que je voulais traiter avec finesse.
Et l’écriture l’a confirmé : ils sont au centre.

Lou, par exemple, à la fois lucide et faillible, écrit dans son journal :

« J’ai écrit le mot “HARCELÉ”, suivi d’un point d’interrogation. »
(Épisode Lou – Partie 1)

Elle comprend.
Elle analyse.
Elle n’agit pas toujours.

Et Kevin, brutal, impatient, parfois touchant malgré lui :

« Kevin c’est Kevin, il tire à balles réelles. »
(Épisode Kevin– Partie 1)

À travers eux, on voit se dessiner tout un spectre de responsabilités, minuscules mais décisives.


Deux saisons, deux lumières

Écrire la Partie 2 m’a vraiment secoué.
Les enfants ont grandi.
Ils ne jouent plus aux mêmes jeux. Le monde s’est durci, les réseaux sociaux sont devenus une scène à part entière, violente et incontrôlable.

Dans la scène où Elena voit son numéro diffusé et perd pied :

« Elle avait plus de deux cents messages de personnes qu’elle ne connaissait même pas. »
(Épisode Elena – Partie 2)

Le choc est réel.

Et puis cette dernière phrase, que prononce Elena après la tempête :

« Je ne retournerai pas à l’école cette année. »
(Épisode Adultes – Partie 2)

Elle a 14 ans.
C’est glaçant.


Musique : un beau cadeau

Petite joie :
nous avons obtenu l’accord de Bigflo & Oli pour utiliser “Dommage” dans une scène clé.

Une scène où Lou et Elena, dans une chambre, passent d’un état à l’autre, se relâchent, se déguisent un instant de normalité. La chanson, dans sa version originale, vient se mêler aux voix et pose une chaleur inattendue dans un épisode très dur.

C’est exactement le genre de “réel” qui donne de la densité à la fiction.


Prochaine étape : le studio

Rendez-vous en juin.
Je suis impatient de découvrir ce que les acteurs, l’ingénierie sonore, les espaces et les silences vont faire de ce texte.

Pour l’instant : je referme mes fichiers, je laisse refroidir.
J’écoute les voix en tête.
Et je me dis que cette histoire, qui n’existait pas en janvier, commence déjà à prendre vie.

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