Je m’y mets. Enfin.
Depuis des semaines, j’esquive, je tourne autour, je note des phrases sur mon téléphone, j’écoute des bribes d’adolescents dans les transports (on a les méthodes qu’on peut), mais aujourd’hui, c’est officiel : je commence l’écriture de Éclaté au sol.
Le titre changera peut-être plus tard — ou pas — mais pour l’instant, il me plaît. Il dit quelque chose de l’état des corps, et surtout de celui des mots quand ils dépassent.
Et surtout : il y aura deux saisons.
Je l’annonce dès maintenant, parce que l’architecture du projet fonctionne comme ça : deux volets, deux moments de vie, deux âges. Une première saison en classe de 5e, la deuxième dix-huit mois plus tard, au début de la 3e. Les mêmes enfants, mais plus tout à fait les mêmes.
Enregistrement prévu cet été, si tout se passe comme prévu (note à moi-même : ne jamais écrire cette phrase).
Pourquoi j’ai envie d’écrire ça maintenant
Ça fait un moment que j’ai envie de faire une fiction pour les ados — pour eux, pas sur eux.
Je vois beaucoup de séries, de docs, de tribunes, de campagnes. Le harcèlement scolaire est partout, tout le temps, mais presque jamais raconté de l’intérieur, dans ce qu’il a de plus banal, de plus ambigu, de plus quotidien. Pas la caricature “le méchant/le gentil”, mais les zones grises, les glissements, les malentendus, les suiveurs, les maladresses, et les dégâts invisibles qui viennent de tous les côtés à la fois.
Je suis convaincu — et c’est un avis, peut-être discutable, mais je le revendique — que la fiction est un moyen plus puissant que le discours explicatif pour faire sentir ce que c’est réellement.
Pas pour moraliser.
Pas pour édifier.
Pour faire éprouver.
C’est tout l’enjeu d’Éclaté au sol : donner des points de vue, des voix, des respirations intérieures. Laisser Arthur, Elena, Kevin, Lou, Oriane raconter chacun “leur” histoire, qui est en fait la même, mais tordue différemment selon l’angle. Un prisme, pas une thèse.
La structure (ambitieuse… tant pis)
Je pars sur 2 x 6 épisodes de 10 minutes .
C’est court. C’est intense.
Et c’est pensé pour être écouté en classe d’un seul bloc, si besoin.
Chaque épisode adopte le point de vue d’un seul personnage.
On revient en arrière, on comble des blancs, on réinterprète les mêmes scènes… On refait l’escalier à cinq têtes. Et puis, à chaque partie, un épisode consacré aux adultes — parents, CPE, profs. Ces voix-là aussi ont leur logique, leurs angles morts, leurs impasses.
Il y aura :
- des scènes en direct, très incarnées ;
- des vocaux WhatsApp ;
- des journaux intimes ;
- des confidences à l’établissement ;
- des flashbacks ;
- des contradictions assumées.
Et bien sûr, des adolescents qui disent tout haut ce qu’ils ne comprennent qu’à moitié.
Ce que je veux raconter
Quelques pistes qui m’obsèdent déjà :
- La majorité des enfants impliqués dans un harcèlement ne sont ni victimes ni harceleurs… mais suiveurs. Ce sont eux qui font pencher la balance.
- Les ados passent leur vie à naviguer entre des codes contradictoires : loyauté, humour agressif, pudeur, désir d’appartenance.
- La souffrance psychique, réelle, souvent tue, souvent mal interprétée.
- Les effets post-COVID, encore largement tabous mais omniprésents.
- Le rôle des adultes — et surtout leurs angles morts (ils en ont beaucoup).
- La confusion : qu’est-ce qui est du jeu, qu’est-ce qui ne l’est plus, et à quel moment exact ça dérape.
Mais je voudrais surtout éviter le discours.
Ce n’est pas une “fiction pédagogique”.
C’est une histoire feuilletonnante.
Avec des personnages, des désirs, des fragilités, de la honte, de la cruauté involontaire, des maladresses magnifiques, et de vrais moments de grâce.
La documentation (cette partie-là me réjouit franchement)
Je vais aller rencontrer CPE, profs du programme pHARe, ambassadeurs collégiens, personnels d’associations, éducateurs spécialisés.
Je veux écouter, enregistrer, comprendre leurs mots avant d’écrire les miens.
Une partie de ces témoignages audio pourrait même devenir du matériau d’accompagnement pour les enseignants.
Je prends la fiction au sérieux, mais j’aimerais que ce soit utile aussi, discrètement, sans que cela ait l’air d’une mission.
Et maintenant ?
Maintenant : je m’enferme.
Je commence.
Je fais ce que j’aime le plus faire : entrer dans une histoire, m’y perdre, et essayer d’en ressortir avec quelque chose de juste.
J’espère que cet été, quand nous passerons en studio pour enregistrer, je me dirai : c’était une bonne idée de commencer en janvier.
En attendant : café, carnet, silence, adolescents imaginaires qui parlent trop fort dans ma tête.
C’est parti.


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