Archives par mot-clé : Yves Nilly

L’hérétique, version zéro

Depuis quatre mois, nous travaillons sur « L’hérétique », le film de Didier Nion.

Adapter « Naufrager volontaire », d’Alain Bombard… Lorsque nous avons commencé, Didier nous a confié le fruit de son labeur solitaire. Des notes compilées pendant des mois, une documentation inestimable, des photos par milliers, un montage d’archive qui, déjà, ressemble à un film. Et aussi les nombreuses tentatives de continuité auxquelles dans lesquelles il se heurtait sans fin à des problèmes insolubles.

Toujours difficile de rentrer dans un projet qui habite un réalisateur depuis si longtemps.

Nous avons écrit un scénario dans notre coin, pour tenter d’apporter un recul salutaire à Didier. Nous avons fait des choix très radicaux: le film commence alors que Bombard prend la mer, il se termine avant même qu’il « atterisse » à la Barbade. Le film entier se déroule en mer, Alain [Bombard] seul dans son canot. Juste quatre séquences à terre: Jack Palmer (le compagnon de Bombard qui n’a finalement pas embarqué avec lui) dans un café à Tanger.

Nous eu de la chance, nous avons visé juste: Didier Nion voit enfin son film. Il reste bien du travail encore, pour que chaque séquence prenne sa place, pour qu’il puisse revendiquer chaque situation comme sienne.

Quinze jours sur les routes d’Allemagne et de Pologne

Repérages.

Derrière les rangées denses de sapins qui longent l’autoroute, une trouée immense s’illumine d’un coup : la base aérienne américaine de Ramstein. La lumière blanche des immenses projecteurs nous aveugle et inonde le ciel et la forêt. Un gros porteur militaire à hélices est en phase d’approche. Plus brillant qu’en plein jour. L’avion atterrit presque au ralenti, dans un formidable grondement d’hélices. Un semi-remorque passe, klaxon enfoncé.

Les derniers petits jardins enneigés à la sortie du village. Quelques dizaines de mètres le long d’une voie ferrée masquée par la neige. Apparaissent les deux arches surmontées par la tour de surveillance en brique du portail du camp de Birkenau. Les rails filent jusque sous la plus grande des arches.
Les hautes clôtures de barbelés filent dans le brouillard, de part et d’autre du bâtiment. Quelques rares touristes courent dans le froid jusqu’à l’entrée du camp, s’engouffrent dans la neige et le vent, disparaissent. La lumière du jour baisse.

La route, sur les voies en face une file interminable de camions en direction de l’Allemagne. Le ciel craque, le froid engourdit.

96. Poznań. Rue hôtel. EXT-NUIT.
Alexandre rentre à l’hôtel sous la neige. Un tourbillon hypnotisant dans la lumière intense des lampadaires. Les publicités lumineuses clignotent sur les tours du centre commercial. Des jeunes gens passent en courant, les voitures roulent au pas, Alexandre s’allume une cigarette. La neige lui cingle le visage. Il a l’air heureux. Il passe devant la vitrine d’un magasin d’électronique, une des télévisions allumées diffuse les images de Moscou : le Kremlin disparaît dans la fumée.
Alexandre s’arrête, regarde derrière lui ses traces de pas dans la neige. Il fait demi-tour et se met à courir.

Quinze jours tout à fait formidables. Autant le dire: cette histoire emplit nos têtes.

Didier Nion

Yves et moi avons rencontré Didier Nion ce matin. La rencontre a été proposée par Serge Lalou, un des producteurs des Films d’Ici. Depuis plusieurs mois, il prépare une adaptation du récit d’Alain Bombard, « Naufragé Volontaire ».

Didier Nion a un regard très intense. Il est sec et maigre. Il est… habité, impossible de trouver un autre terme. Le livre de Bombard, sa traversée de l’Atlantique (seul sur un radeau, en 1952, pour prouver au monde qu’on ne peut mourir en mer) l’habite littéralement. Chacun de ses geste, chacune de ses phrases vont dans ce sens. Il y a quelque chose d’emballant et d’effrayant. Et une certitude se dégage: s’il y a une seule personne capable de réaliser un tel film, c’est bien Didier Nion. Il sait comment le faire!

Bien sûr, nous allons plonger à ses côtés et tenter d’écrire ce film!

Didier Nion est un ébéniste. Didier Nion est un navigateur qui a traversé l’Atlantique à de nombreuses reprises. Didier Nion est surtout un grand réalisateur.

Les réalisateurs qui ont fait ne serait-ce qu’un seul bon film dans leur vie se comptent sur les doigts des mains. Didier en fait partie. Il a réalisé, il y a quelques années, un dcumentaire intitulé « Dix-sept ans ». Le film est tout simplement remarquable (critique).

« Votre film post-punk »

« Votre film post-punk… » le mot a été lâché par la productrice.

Les espions sont-ils des punks ? Notre Alexandre est-il punk ?

Exécuter des gens pour profession est une forme très concrète de nihilisme. « Le révolutionnaire ne connaît qu’une science : celle de la destruction » affirme Netchaïev — expert s’il en est en matière de nihilisme — dans son « Catéchisme du révolutionnaire ». Alexandre peut revendiquer chaque mot de ce bréviaire de la destruction, sa violence a été forgée à bonne école.

Alexandre a quarante ans, l’âge de la « seconde génération punk ». À l’ouest, les jeunes de son âge écoutaient encore les Sex Pistols ou plutôt Bérurier Noir. Les morceaux des groupes punks étaient rapides, nerveux et brutaux, trois adjectifs qualifiant parfaitement les exécutions du Smersh. Alexandre et les punks parlent un même langage. Le punk est destructeur, tout comme l’exécuteur. Les Smersh, des illégaux (même parmi les espions), ne doivent pas même exister. Ils appartiennent aux minorités invisibles, comme les punks : mis à l’index.

Les espions

Les espions s’invitent depuis longtemps dans nos projets individuels ou communs, ils hantent nos écritures — scénarios et romans — un peu comme une filiation ou un héritage de plus en plus lourd à trimballer.

La matière historique est là, le vécu également. Des années déjà au cœur des services secrets sur de précédentes écritures, et nos histoires personnelles et intimes, peuplées de voyages, de liaisons étrangères et d’hommes de l’ombre.

Un jour ou l’autre, il va bien falloir s’y coller!

Le sujet du film ? Ce serait : le crépuscule des espions et l’aube d’une jeunesse qui ne croit plus aux lendemains.

Il y aurait un espion. Il s’appelle Alexandre (ce n’est pas son vrai nom). Alexandre est un Smersh : un exécuteur autonome du KGB qui traque les traîtres en solitaire. C’est le dernier d’entre eux. Il ne le sait pas. Pas encore.

Il y aurait un vieillard teigneux. « Pepe ». Il se prétend ancien chauffeur de Trotski

Pour nous, le moment est venu de régler leur compte aux espions. Ils meurent et avec eux les mythes disparaissent, les utopies sont assassinées et les rêves confisqués.

Un film qui prendrait acte de la fin d’un siècle et de la naissance d’un autre. L’espion, né sur les décombres des guerres mondiales et les restes de la guerre froide, hanté par le souvenir des camps de la mort, n’a plus de certitudes, il se fissure, craque. Les blessures n’ont jamais été refermées, un monde a disparu ; l’avenir du nouveau monde qui se dessine est brouillé et déréglé. La violence idéologique laisse la place à une violence nihiliste.

Nous voulons éclairer une dernière fois ce monde qui n’en finit pas de disparaître pour mieux parler de nos enfants : il y aurait une jeune fille, Enola. Elle appartient à la première génération qui n’a pas connu ces espions et leur cohorte de fantômes. Elle n’est pas atteinte du « supervirus de la folie de l’espionnage » dont s’amuse John Le Carré. Elle ne se nourrit pas des fantasmes de « l’industrie de l’ombre ». Enola, comme nos enfants, a en permanence une trace sombre et inquiétante qui brille au fond des yeux. Elle tangue, seule, au bord du monde, la tête enivrée par un fiévreux mélange de haine et d’amour, avec un immense appétit de destruction et de beauté.

Le film ne cédera à aucun désespoir, mais plutôt à l’espoir. L’espoir qu’Alexandre aimerait transmettre à la jeune Enola. Avec violence et déraison,
certes. Notre fiction livre une vision impatiente de l’avenir. Un avenir aussi convulsif, impertinent et joyeux que les danses d’Enola lorsqu’elle bondit en tous sens, le casque vissé aux oreilles et les yeux fermés.

Nous avons exposé ce fatras d’idées à notre productrice. « Vous avez tout pour plaire », nous lance-t-elle avec une pointe de sarcasme dans la voix : « faire un film d’atmosphère (même quand on ne parle pas de crépusculaire, c’est toute une histoire), y glisser de la violence et du désespoir, transformer une chasse aux espions en une fuite nihiliste avec des vieux (carrément un vieillard !) et des très jeunes (cette jeune fille, Enola, 17 ans qu’on jurerait héroïne de manga capable de tout, surtout du pire), votre exécuteur des services secrets russes qui dort depuis 1991 au milieu des blés de Beauce, cet ancien chauffeur de Trotski qui attend vainement une exécution digne de son parcours (on l’imagine avec les bottes aux pieds, tout droit sorti du dernier western de John Ford), le tout dans un ample mouvement qui va de l’été à la nuit froide, du crépuscule à l’aube, ou le contraire. Votre film post-punk, vous allez le faire comment ? ».

On va commencer par réfléchir!

Bling

« Bling »…

Depuis des mois nous tournons autour. Las Vegas. Le désert du Nevada. Les essais atomiques américains. Le jeu. Les néons.

Plusieurs fois j’étais à Las Vegas.

Plusieurs fois j’ai écrit Las Vegas: « Parole de pirate! », « The TB project ».

Nous avons lu « Zeropolis » de Bruce Begout, livre indispensable sur la question.

Nous avons vu mille et un film (dont le très étonnant « Funny bones », hier encore).

Et nous avons décidé à la fin de l’année dernière de lancer un projet qui aurait Las Vegas comme décor et le poker comme sujet.

[La nouvelle apparence du site n’est pas tout à fait étrangère à ceci.]

A suivre…

Uchronie

Dans le dossier de présentation de « Bison 6 », nous parlons de l’uchronie en ces termes:

« UCHRONIE (n.f.) : utopie appliquée à l’histoire ; histoire refaite logiquement telle qu’elle aurait pu être. », dictionnaire Larousse, 1913.
L’uchronie consiste à introduire un événement de fiction dans une situation historique existante pour jouer avec les conséquences possibles.
Nous jouons l’uchronie lorsque les membres de notre expédition se retrouvent aux côtés du Président de Haute-Volta, le jour de l’indépendance, sur les images d’actualité projetées dans les cinémas parisiens. Ou comme lorsque Hemingway décide d’embarquer les rescapés de notre expédition dans son petit avion pour les emmener à la rencontre du militant indépendantiste Félix Moumié, caché dans la forêt équatoriale camerounaise. Ou encore lorsque l’écrivain blessé et alité imagine la fin de l’expédition comme une course poursuite effrénée jusqu’à Pointe-Noire au Moyen-Congo.
L’aventure et ses péripéties au rythme historique précis et juste de la chronique des indépendances, jusqu’à l’exagération, jusqu’à l’événement divergent cher à l’uchronie.

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« Gerboise bleue » devient « Bison 6 »

Sans crier gare, le feuilleton sur lequel nous travaillons depuis trois mois a perdu son titre.

Gerboise bleue. Les deux mots étaient devenus familiers. Leur emploi était quotidien. La relation était intime.

Gerboise bleue est le titre d’un film documentaire qui sortira en sall en février 2009. Nous avons vu le film. Je n’en dirai rien car je n’aime pas dire du mal.

Exit Gerboise bleue, donc. Nous avons opté pour Bison 6. Tout aussi énigmatique. Ancré dans le monde de l’espionnage pour les initiés.

Il va falloir habituer nos bouches à prononcer ces deux nouveaux mots.

Un réalisateur pour « Gerboise bleue »

Nous cherchons un réalisteur pour Gerboise bleue.

Nous sélectionnons et visionnons des films. Nous cherchons une clé qui nous donnerait envie de faire lire le projet.

L’Afrique, Sarajevo, Beyrouth, Buenos Aires, le mélange entre fiction et documentaire, budgets serrés la plupart du temps, équipes réduites, on est bien dans les problématiques de Gerboise bleue
Voir ces films et penser à ces réalisateurs est pertinents, cela fait avancer notre réflexion, notamment sur les spécificités du projet.
La qualité essentielle après laquelle nous courons est une capacité de recul et de mise à distance. De l’humour, de la légèreté, de la désinvolture et de la dérision.

Synthèse des films visionnés

Voici quelques impressions à la volée, synthèse de nos visionnages (nous ne sommes pas toujours d’accord).

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Bombe atomique

Les pays d’Afrique se battent pour leur indépendance, alors que la France tente de négocier le tournant de la modernité.

Symbole de cette modernité affirmée, la première bombe atomique française explose cette même année 1960 à Reggane, nom de code: « Gerboise bleue ».

Nous cherchons une manière de lier le récit que nous écrivons à cet événement. Lier les indépendances africaines à Gerboise bleue.

Pour un autre projet, je revois Stravisky de Resnais. Je note le dernier dialogue, qui lie très élégamment l’expulsion de Troski de France à l’affaire Stravisky. Et je rêve que nous trouvions quelque chose d’aussi efficace pour notre problème.

– Voilà, ils vont expulser Trotski. Mais c’est en France que le sort de la bataille contre le fascisme va se décider. Trotski ne sera pas là. Sans lui, nous allons nous éparpiller. C’est fou quand même, que Stavisky ait provoqué ça.
– Je ne vois pas le rapport.
– Sans Stavisky, pas de 6 février. Sans l’émeute fasciste du 6 février devant laquelle Daladier capitule, pas de gouvernement d’Union nationale. Sans gouvernement d’Union nationale, pas d’expulsion de Trotski. Donc, sans Stavisky…

Quoi qu’il en soit, « Août 1960 » s’appellera dorénavant « Gerboise bleue ».

« Escales africaines »

Il y a bien longtemps, en 1989, Yves Nilly avait écrit un feuilleton pour France Culture intitué « Escales africaines ».

Nous cherchons un nouveau sujet depuis quelques semaines. Nous discutons, revenons sur les thématiques qui nous sont chères.

Yves est venu me rejoindre dans ma campagne ce week-end et il m’a apporté le texte du premier épisode de ce lointain feuilleton.

Au commencement, le ciel était tout proche de la terre. En ces temps, les hommes n’avaient pas besoin de travailler le sol, car quand ils avaient faim, il leur suffisait de déchirer un coin du ciel et de le manger.

Le feuilleton se déroule pendant l’été 1960, en Afrique. C’est l’été de tous les espoirs: en l’espace d’un mois, 12 pays obtiennent leur indépendance.

Nous parlons à batons rompus, en nous promenant sous les arbres. Nous croisons les envies. L’idée de « Août 1960 » (c’est le nom provisoire que nous donnons à cette série) germe.

Aix-les-Bains / Réalisateur

Tout le petit monde de la télévision est très agité. Ils n’ont qu’un seul mot à la bouche: directeur artistique.
C’est lui qui donnera son identité visuelle à la série. C’est lui qui sera capable de se projeter dans l’avenir pour que la série soit encore au goût du jour au moment de son arrivée à l’antenne, parfois deux ou trois ans après sa création.
En définitive, ils nous parlent d’un réalisateur. Non?

A ces réflexions agitées s’est ajoutée la présence des Québécois. Minuit, le soir, de Pierre-Yves Bernard (le scénariste) et de Podz (le réalisateur). Un certain émoi a parcouru Aix-les-Bains. Très bonne direction d’acteur, réalisation, image, son… C’est bien. C’est homogène. Pour le dire simplement: on sent qu’il y a un réalisateur là-derrière.

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