Le 9 juillet a eu lieu une projection du film « Alors voilà, » réalisé par Michel Piccoli en 1996.
Il m’aura fallu quelques jours pour digérer cette projection de « Alors voilà, », organisée très précisément vingt-cinq ans après l’écriture du scénario. Elle a eu sur moi la vertu d’une piqûre de rappel.
J’entends encore la productrice nous lancer, à Michel et à moi, avec une pointe de sarcasme dans la voix : « Vous avez tout pour plaire… faire un film d’atmosphère en y glissant de l’intime et du vécu, une sorte de quête initiatique avec des vieux (carrément un vieillard !) et de très jeunes enfants… votre film, vous l’écrivez comment ? »
Et justement… Michel et moi, cherchons en novices que nous sommes, la réponse à cette question pendant les dix-huit mois de cette écriture.
Nous y cultivons le chaos, mais en veillant toujours à l’intensité et à la précision du propos, en gommant les aspérités qui nous gênent tant : les multiples rebondissements, les fausses intrigues, les complots, les dialogues brillants qui se noient sans faire avancer l’action ni le spectateur.
Nous portons une attention méticuleuse aux couleurs, formes et strates qui font les atmosphères et habitent nos personnages. Nous cherchons un mode de narration qui joue de l’accumulation et de la juxtaposition des situations, des détails et des rituels. Les petits gestes et les objets. Nous les convoquons aussi parce qu’ils constituent la matière de nos personnages et définissent les contours de ce qu’ils sont.
Nous faisons confiance à ces personnages pour dérouler de manière désordonnée leurs gestes et leurs mouvements jusqu’à la fin et ses possibles ; confiance en notre instinct aussi, pour pouvoir continuer à surprendre.
Ce ne sont plus les rouages narratifs qui sont moteurs, mais le choc entre les personnages. Des personnages perdus et imprévisibles. Des personnages ballottés entre la violence et la beauté. Nous aussi, nous courrons après la beauté. Nous courrons aussi après cette brutalité qui s’exprime en rafales soudaines.
Nous aimons les silences rompus par les rafales de violence ou de joie. Nous aimons la tristesse infinie ponctuée de franche rigolade ou de désinvolture, le burlesque qui alterne avec une violence sourde. Nous aimons cette sexualité qui par bouffées entraîne les personnages dans des situations improbables où une pudeur infinie côtoie la crudité et l’animalité des corps comme des sentiments. Nous aimons ces dialogues parcimonieux, qui n’expliquent pas, puis qui, dans un souffle, n’hésitent pas à se déployer largement.
Tout cela, et plus encore, je le défends confusément depuis vingt-cinq ans face à des lecteurs de scénarios et des décideurs formés dans les séminaires de Robert McKee. Une série de positions désordonnées qui tentent de préserver ce qui était primordial pour Piccoli et qui était sans aucun doute à l’origine de son choix d’écrire son premier film avec un scénariste de vingt-cinq ans dénué de toute expérience : éviter les recettes de fabrication, les sentiers battus et les pensées toutes faites.
Cette projection, donc, est une salutaire piqûre de rappel. Par les couilles du Saint-Père, il est plus que jamais temps de poursuivre ce travail amorcé il y a vingt-cinq ans et de défendre explicitement – et non plus confusément – des films, des histoires et des personnages issus de ce vivant chaos.